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Dissertation sur le Canon de Bronze trouvé en 1826, sur un banc de sable dans le fleuve St. Laurent, au devant de la paroisse Champlain, district de Trois-Rivières

 

Par Amable Berthelot

 

[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Transactions, Original Series, Volume 2 (1831)]

 

 

JE divise cette Dissertation en deux parties. Dans la première j'entreprends de prouver que Jacques Cartier n'a pas fait naufrage sur la roche de Jacques Cartier. Dans la seconde je conjecture que ce canon a appartenu à Vérazani.

 

Mr. Neilson, dans sa Gazette de Québec du 23 Avril, 1827, annonce que Mr. Chasseur a dans son Musée un canon de bronze d'une forme extraordinaire, qui a été trouvé, l'automne 1826, à l'embouchure de la rivière Jacques Cartier. Charlevoix ayant dit que c'était, dans le pays, une tradition que Jacques Cartier avait perdu un de ses vaisseaux en cet endroit, on en conclu que ce canon avait appartenu à ce vaisseau. L'inscription gravée depuis sur ce canon l'explique ainsi. Observons d'abord que ce n'est pas à la rivière Jacques Cartier que ce canon a été trouvé. Mr. Colin Campbell, qui en a fait présent à Mr. Wood, informa Mr. Chasseur le 28 Juillet 1828, que c'était sur un banc de sable, vis-à-vis de la paroisse Champlain, qu'il avait trouvé cette pièce. Ce canon peut être un grand témoin; nous l'interrogerons. Commençons par en faire la description.

 

Cette pièce a une ouverture à la partie supérieure de la culasse, dans laquelle on place une chambre mobile, destinée à contenir la charge. Cette chambre est fixée par une cheville de fer; l'âme ou l'ouverture du canon a trois pouces de diamètre; l'ouverture de la chambre mobile, ou du cylindre destiné à contenir la charge, est d'un pouce et demi; la longueur de la pièce est de trois pieds quatre pouces et demi; la longueur du levier en fer, placé à la culasse, au lieu du bouton, pour pointer la pièce, est de dix pouces trois quarts mesure française. Ce canon est fixé sur une chandelle qui se divise en deux branches comme sont en général les pierriers; le fer en est profondément rongé par la rouille. Cette pièce est d'un très beau métal, mais elle est si irrégulièrement formée, en comparaison des canons de bronze que nous voyons de nos jours, qu'il parait évident qu'elle appartient à l'enfance de l'art de la fonderie des canons.

 

PREMIERE PARTIE.—Champlain dit que le 3 Juillet 1608, il arriva à Québec, où il chercha un lieu propre pour son habitation. Que proche de ce lieu est une rivière agréable, où anciennement hiverna Jacques Cartier. C'est aussi l'opinion de La Potherie qui était à Québec en 1698.—Cependant il parle comme Charlevoix d'un naufrage de Cartier, sur la roche de Jacques Cartier.

 

Charlevoix dit, que de l'île de Bacchus, ou d'Orléans, Cartier se rendit dans une petite rivière qui en est éloignée de dix lieues, et qui vient du Nord: il la nomma rivière Ste. Croix, par ce qu'il y arriva le 14 Septembre 1535, (après beaucoup de difficultés de la part des Sauvages comme nous le verrons ci-après,) il partit de Ste. Croix le 19, avec la grande Hermine seule et deux chaloupes, laissant les deux autres navires dans la rivière Ste. Croix, où la grande Hermine n'avait pu entrer. Dans une note il ajoute, "Champlain dit que cette rivière est celle de St. Charles: mais il se trompe, puisque des bâtiments beaucoup plus grands que la grande Hermine entrent fort bien dans celle-ci, quand la marée est haute. C'est qu'il comptait les dix lieues du bas de l'Ile. Je trouve dans quelques mémoires, et c'est une tradition constante en Canada, qu'un des trois navires fut brisé contre un rocher, qui est dans le fleuve St. Laurent, vis-à-vis de la rivière Ste. Croix, et que la marée couvre entièrement lorsqu'elle est haute, mais la relation d'où je tire ce récit ne dit rien de cet accident." Dans une autre note il ajoute, cette roche s'appelle encore présentement la roche de Jacques Cartier.

 

Charlevoix reproche à Champlain de n'avoir pas bien compris le récit de Jacques Cartier. Voyons d'abord ce récit, après quoi nous tacherons d'apprécier la tradition.— Consultons Lescarbot. Cet écrivain, d'après ce qu'en dit Charlevoix, dans sa liste des auteurs sur l'histoire de La Nouvelle France, parait sincère, bien instruit et impartial. Lescarbot copie le récit du second voyage de Jacques Quartier, (que nous écrivons maintenant Cartier.) de l'original présenté au Roi, écrit à la main et couvert en satin bleu. A la page 268 il dit que d'abord il avait résolu de ne donner qu'un abrégé de ce voyage, mais que pour l'avantage des navigateurs il le donne en son entier. En effet la différence du style de Cartier et de Lescarbot est très sensible, et en plusieurs endroits Lescarbot explique des expressions de Cartier qui avaient déjà vieilli de son temps. Lescarbot après avoir rapporté la découverte que Cartier fit de l'Ile aux Coudres le 6 Septembre 1535, le 7 il l'en fait partir et le fait arriver à quatre miles distantes de l'Ile aux Coudres de sept à huit lieues, "desquelles (dit-il) il y en a une grande, environ dix lieues de long et cinq de large. Le 8 Septembre le dit capitaine fit apporter nos barques pour passer outre, et aller à mont le dit fleuve avec le flot pour chercher hable et lieu de sauveté pour mettre les navires, et fumes outre le dit fleuve environ dix lieues cotoyant la dite Isle, et au bout d'icelle trouvâmes un affoure d'eau fort beau et plaisant, au quel lieu il y a une petite rivière, et hable de barre marinant de deux à trois brasses, que trouvâmes lieu à nous propice pour mettre nos dits navires à sauveté. Nous nommames le dit lieu Ste. Croix, parce que le dit jour y arrivames—après avoir visité le dit lieu, et trouvé être convenable, se retira le dit capitaine et les autres dedans les barques pour retourner aux navires."

 

L'escarbot dit dans une note en marge "hable de barre" c'est-à-dire, hâvre qui assèche de basse mer. Il faut que le mot affourc ou affourq fut encore familier de son temps, puisqu'il ne le définit pas; mais il est hors d'usage aujourd'hui, fourque et forcat sont des termes de marine de nos jours, l'homonymie dit à une oreille française que l'on entendait du temps de Cartier par le mot fourc ce que nous entendons de nos jours par celui de fourche: ce qui correspond parfaitement â la fourche d'eau que présentent à la vue le hâvre de la rivière St. Charles et le fleuve St. Laurent entre Québec et la pointe Lévi, lorsque l'on entre dans le bassin de Québec par le chenal du Nord de l'Ile d'Orléans. Ces expressions de Cartier ne peuvent certainement pas s'appliquer à l'entrée de la rivière Jacques Cartier. Quant au mot marinant il faut supposer qu'il était très familier du temps de Lescarbot puisqu'il n'en donne pas la définition, mais dans la circonstance où il le place il exprime indubitablement le mouvement de l'eau pendant le reflux.

 

 Cartier de retour à ses navires, visite cette Ile qu'il estime avoir environ douze lieues de longueur. Il la nomma Ile de Bacchus à raison des vignes qu'il y trouva, et Lescarbot dit dans une note marginale que c'est l'Ile d'Orléans.— Cartier se rendit ensuite avec ses navires "au dit lieu de Ste. Croix, le 14 Septembre. Le seizième du dit mois nous mimes nos deux plus grands navires dans le dit hable et rivière, où il y a de pleine mer trois brasses, et de basse eau demie brasse, et fut laissé le gallion dedans la rade pour mener à Hochelaga. Ce gallion était l'Emérillon du port d'environ 40 tonneaux. Les deux autres vaisseaux étaient la grande Hermine d'environ 120 tonneaux, et la petite Hermine d'environ 60. Le 19 Cartier part pour Hochelaga, depuis nommé Montréal, avec le gallion et deux barques. Au lac St. Pierre il laisse le gallion, parce que dit-il il n'y avait pas assez d'eau; mais il nous est permis de croire que c'est parce qu'il n'en connaissait pas le chenal. Il poursuit sa route avec ses barques et se rend à Hochelaga. Le 4 Octobre il revient au lac St. Pierre avec ses barques et y retrouve son gallion. Le 5 il en part avec le gallion et ses barques, et Cartier ajoute "Le lundi onzième jour d'Octobre nous arrivâmes au hable de Ste. Croix, où étaient nos navires, et trouvames que les maitres et mariniers qui y étoient demeurés avoient fait un fort devant les dits navires tous clos de grosses pièces de bois plantées de bout joignant les unes aux autres, et tout à l'entour garni d'artillerie—Cartier ajoute "il y a aussi ès environs du dit Canada, dedans le dit fleuve plusieurs Iles tant grandes que petites. Et entre autres il y en a une qui contient plus de dix lieues de long, laquelle est pleine de beaux arbres, et force vignes. Il y a passage des deux côtés d'icelle; le meilleur et le plus sur est du côté devers le sud, et au bout d'icelle ile vers l'ouest y a un affourq d'eau bel et délectable pour mettre navires: auquel y a un endroit du dit fleuve courant et profond, mais il n'a de large qu'environ un tiers de lieue: le travers duquel y a une terre double de bonne hauteur toute labourée, aussi bonne qu'il soit possible de voir. Et là est la ville et demeurance du Seigneur Donnacona et de nos hommes" (deux sauvages qui ne voulurent pas suivre Cartier à Hochelaga) "qu'avions prins le premier voyage: la quelle demeurance se nomme Stadaconé. Et auparavant qu'arriver au dit lieu y a quatre peuples y demeurant, sçavoir, Ajaouasté, Starnatam, Tailla, qui est sur une montagne, et Stadin, puis le dit Stadaconé, sous la quelle haute terre vers le nord est la rivière et hable de Ste. Croix: auquel lieu avons été depuis le quinzième jour de Septembre jusqu'au sixième jour de Mai mil cinq cent trente six: auquel lieu les navires demeurent à sec, comme cy-devant est dit."

 

Vient ensuite le récit de ce qui se passa pendant l'hiver; du scorbut dont les Français furent attaqués. Sur cent dix il n'y en avait que trois ou de quatre de sains. Vingt-cinq moururent et furent cachés sous la neige: et afin que les sauvages ne s'aperçussent par de l'état déplorable des équipages, Cartier défendait aux sauvages l'accès aux vaisseaux, et lorsqu'ils en approchaient, on y faisait le plus de bruit qu'il était possible, pour leur faire accroire que tout le monde était en ouvrage. Donnagaya indiqua à Cartier un arbre avec lequel il s'était guéri lui même, car la même maladie s'était répandue parmi les sauvages.— Charlevoix dit que cet arbre est l'épinette blanche.— Approche enfin le temps du départ. Voici le texte de la relation. ''Ce que nous était de nécessité: car nous étions affoiblis, tant de maladies, que de nos gens morts, qu'il nous fallut laisser un de nos navires au dit lieu de Ste. Croix." Ensuite Cartier dit que ce navire fut abandonné a ceux de Stadin pour en avoir les vieux clous. Vient enfin le départ. "Le Samedi sixième jour de Mai nous appareillames du havre de Ste. Croix, et vîmmes poser au bas de l'Ile d'Orléans environ douze lieues du dite Ste. Croix." On voit de plus que Cartier avait ramené en France le petit gallion appelé l'Emérillon, dans lequel il n'était allé que jusqu'au lac St. Pierre.

 

Qui d'après ce récit fait au Roi par Jacques Cartier peut avoir le moindre doute que ce Capitaine n'ait passé l'hiver de 1535 et 1536 dans la rivière St. Charles, située au nord de Québec, qu'il n'ait été à Hochelaga, ou Montréal, qu'il n'en soit revenu dans l'Emérillon depuis le lac St. Pierre sans accident, et que s'il laissa un de ses vaisseaux à Ste. Croix dans le hâvre de la rivière St. Charles ce fut, non pour l'avoir perdu sur la roche de Jacques Cartier, mais à raison de la foiblesse de ses équipages: que quand il dit qu'il laissa ce vaisseau pour que ceux de Stadin en eussent les vieux clous il n'en avait pas enlevé tous les canons, les agrès et autres choses qu'il lui importait de prendre. Quel intérêt pouvait-il avoir de déguiser la vérité quand tant de témoins oculaires pouvaient le démentir et le perdre.

           

Maintenant examinons de quel poids peut être la tradition dont parle Charlevoix. Cette tradition en Canada n'a pu être transmises par des Européens, depuis 1536 après le départ de Cartier, jusqu'en 1608 que Champlain s'établit à Québec. S'il y eut une telle tradition, elle n'a pu parvenir que par des sauvages des environs. Champlain ne se rendit sur les lieux parcourus par Cartier, qu'environ 72 ans après. Charlevoix n'alla à Québec que vers 1720; c'est-à-dire, environ 180 ans après Cartier. Lequel des deux pouvait le mieux être guidé par les traditions des Sauvages Champlain était contemporain de Lescarbot: revêtu comme il était de la commission de fonder une colonie sur les bords du fleuve St. Laurent, peut-on supposer qu'il n'ait pas eu accès à la relation du second voyage de Cartier, aussi bien que Lescarbot. On doit penser que Champlain a suivi les traces de Cartier. De plus Champlain a pu voir plusieurs sauvages qui lui ont dit avoir vu des hommes de son espèce, blancs et barbus, hiverner au nord de Québec, c'est-à-dire, à la rivière St. Charles. Ainsi Champlain doit avoir fondé son opinion et sur le récit de Cartier qui est très explicite, et peut être aussi sur le rapport de vieux sauvages, témoins oculaires du séjour de Cartier à la rivière St. Charles. Il est bien clair que Charlevoix s'est trompé en disant que Cartier partit pour Hochelaga dans la Grande Hermine.— Le passage ci-dessus de Cartier dit positivement la contraire. Il ne cite qu'en gros des mémoires et une tradition qu'on lui a rapportée en Canada, pour prouver que Cartier a perdu un vaisseau sur la roche qui se trouve vis-à-vis sa prétendue Ste. Croix. Mais il déclare lui même qu'il ne trouve rien de cela dans les mémoires sur les quels il nous donne le second voyage de Cartier. Ce fait, encore une fois, ne peut avoir été transmis que par le récit des sauvages des environs. Lorsque Champlain fonda Québec, il y avait déjà 72 ans que Cartier avait fait son second voyage sur le fleuve St. Laurent. Plusieurs années se passèrent avant que le Canada eut des missionnaires ou des Français capables de converser avec des sauvages, et avant que des sauvages eussent appris le Français assez bien pour s'expliquer clairement. Ainsi en admettant cette tradition comme vraie en général, j'ai le droit de dire qu'elle n'est pas applicable à Jacques Cartier, puisque sa relation dit positivement le contraire. Qui niera qu'un fait vrai, ne puisse, en très peu d'années, être surchargé de circonstances étrangères. N'est-ce pas ce qui arrive tous les jours. On ne me persuadera jamais qu'au bout d'environ un siècle qui dut s'écouler avant le récit de ce naufrage, les Sauvages eussent conversé le nom de Jacques Cartier. Tout le monde connait leur habitude de donner des noms de leur propre langue aux étrangers, par la raison qu'il est plus facile de se souvenir d'un mot familier que d'un mot étranger. Ce ne fut que de cette manière qu'ils désignèrent ceux qui firent naufrage sur le fleuve St. Laurent. Ils ne purent après tant d'années indiquer l'époque d'un naufrage que d'une manière vague, mais peut-être qu'ils la désignèrent d'une manière à faire soupçonner qu'il pouvait s'agir de Jacques Cartier. En Canada on crut à ce naufrage d'un des vaisseaux de ce capitaine parce qu'il n'était retourné en France qu'avec deux vaisseaux. Et faute de pouvoir consulter son second voyage, qui parait n'avoir jamais été publié en Français, que par Lescarbot on aura cru que cette rivière que nous appelons Jacques Cartier est la rivière où il hiverna et que ce fut lui qui y fit naufrage.

 

SECONDE PARTIE.—Je crois que l'on doit regarder comme certain qu'un vaisseau, avant le second voyage de Jacques Cartier, a fait naufrage dans le fleuve St. Laurent. Mais voyons s'il est permis de faire une conjecture et de lier l'idée de ce naufrage au voyage de Verazani, qui me parait être dans ce temps, le seul voyageur malheureux auquel se rattache ce naufrage.

Charlevoix dit que Verazani étant au service de François I, après avoir fait en 1523 un voyage pour découvrir l'Amérique Septentrionale revint à Dieppe; qu'il en sortit en 1524, pour aller en course contre les Espagnols; que Verazani découvrit l'île de Terreneuve, où les Bretons faisaient la pêche long-temps avant 1525. Que peu de temps après son arrivée à Dieppe, il fit un nouvel armement à dessein d'établir une colonie dans l'Amérique. "Tout ce qu'on sait de cette entreprise (dit Charlevoix) c'est que s'étant embarqué il n'a point paru depuis, et qu'on n'a jamais bien su ce qu'il était devenu: car je ne trouve aucun fondement à ce que quelques uns ont publié, qu'ayant mis pied à terre dans un endroit où il voulait bâtir un fort, les sauvages se jetèrent sur lui, le massacrèrent avec tous ses gens et le mangèrent."

 

Lescarbot nous met un peu plus sur la route, en nous disant "Quelqu'un dit qu'étant parvenu au Cap Breton qui est l'entrée pour cingler vers la grande riviere de Canada) il fut pris et dévoré des sauvages. Ce qui difficilement puise-je croire, puisqu'il fit la relation susdite de son voyage au Roi, (c'est-à-dire, d'un voyage antérieur) et attendu que les sauvages de cette terre là ne sont point anthropophages et se contentent d'enlever la tête de leur ennemi. Bien est vrai que plus avant vers le nord il y a quelques nations farouches qui guerroyent perpétuellement nos mariniers faisant leur pêcherie.— Mais j'entends que la querelle n'est pas si vieille, ainsi est depuis vingt ans seulement que les Maloins tuerent une femme d'un capitaine, et n'en est point encore la vengeance assouvie. Car tous ces peuples barbares généralement appètent la vengeance, laquelle ils n'oublient jamais ainsi en laissent la mémoire à leurs enfans."

 

Ici Charlevoix rejète ce genre de mort de Verazani, faute de preuves, mais considérons qu'en ce cas nous sommes réduits à de simples conjectures. Il n'est point si difficile lorsqu'il nous dit que la rivière Ste. Croix où hiverna Cartier, est la même que celle que nous appelons maintenant Jacques Cartier, sans autre preuve que la tradition dont nous avons parlé. A bien peser ce que disent ces auteurs, le doute serait si les Sauvages enlevèrent la tête de Verazani et de ses gens ou s'ils les dévorèrent. Ce que l'histoire nous a appris depuis cette époque, nous prouve qu'ils étaient également capables de l'un et de l'autre. Le genre de mort de Verazani est caché dans la nuit des temps. N'aurait-il pas pu périr par le Scorbut avec son équipage ? Il pourrait aussi se faire que Verazani et son équipage affoiblis par le scorbut auraient été les victimes de la colère ou de la cupidité des Sauvages, et le second voyage de Cartier nous fait voir les appréhensions où il était qu'un semblable malheur ne lui arrivât.

 

Examinons quelques autres autorités sur le sort de Verazani.

 

Lescarbot fit que l'objet de Cartier était de continuer les découvertes de Verazani dans le dessein de fonder des colonies en Amérique.

 

Lahontan, qui était à Québec en 1683, dit que Vérazan, ou Vérazani fut le premier qui découvrit le Canada, mais à son malheur, car les sauvages le mangèrent. Remarquons que La Hontan vécut plusieurs années parmi les sauvages et qu'il apprit leurs langues. La Potherie qui était en Canada en 1698, dit que Jacques Cartier fut plus heureux que Vérazani, ce qui revient à peu près à la même chose; cet écrivain a vécu plusieurs années en Canada.

 

Le Beau qui vint en Canada en 1729, en parlant de la découverte du Canada, dit que Vérazani, natif de Florence, en prit possession au nom de François I. Qu'il eut le malheur d'y être mangé par les sauvages sans avoir été aussi avant que Cartier qui alla jusqu'à Montréal. Le Beau ne dit point sur quelle autorité il fonde cette opinion, mais comme il passa plus d'une année chez les R. R. P. P. Recollets de Québec, qui furent les premiers Missionnaires de ce pays, il me parait probable qu'il tenait d'eux cette opinion.

 

Dans quelle partie du fleuve St. Laurent Vérazani perit-il? J'ai des autorités à produire pour soutenir ma conjecture que ce fut plus haut que Stadaconé ou Québec, et moins haut que Hochelaga ou Montréal.

 

Le Beau que je ne puis m'empêcher de considérer comme nous transmettant la meilleure tradition sur cette question, vient de nous dire que Vérazani n'alla pas aussi avant dans le Canada que Cartier qui alla jusqu'à Montréal. Par ces expressions je conçois que Vérazani remonta le fleuve St. Laurent assez haut pour être jusqu'à un certain point un objet de comparaison avec Cartier. Que le lecteur veuille bien se rappeler qu'une tradition bien constatée affirme qu'un vaisseau fit naufrage sur la roche de J. Cartier, et que j'ai prouve que ce vaisseau n'était pas un des trois de Cartier. Les deux sauvages qui ne voulurent pas accompagner Cartier dans son voyage à Hochelaga ou Montréal, étaient Taiguragni et Domagaya habitans de Stadaconé ou du promontoire de Québec, lesquels Cartier avait emmenés en France dans son voyage de l'année prédédente à l'embouchure du fleuve St. Laurent, et qu'il ramena en 1535, à la plus grande satisfaction de leurs compatriotes. On peut juger du peu de progrès qu'ils durent faire dans la langue française. Leurs expressions ne devaient guère s'étendre au delà des premiers besoins de la vie. Solicité par Cartier de monter à Hochelaga fut par Taiguragni dit au dit capitaine, que le dit seigneur (Donnacona, chef de Stadaconé) ne voulait point que lui qui parlait allant avec lui, comme il avait promis, parce que la rivière ne valait rien." (C'est une façon de parler des sauvages, pour dire qu'elle est dangereuse, comme de vérité elle est passé le lieu de Ste. Croix.")

 

Cherchons maintenant quelle pouvait être la raison pour laquelle Donnacona, Taiguragni et Domagaya s'opposaient à l'exploration du fleuve Saint Laurent au-dessus de Stadaconé ou de Québec. Lescarbot ne peut dire pourquoi ces sauvages ne voulaient pas que Cartier allât à Hochelaga.— "Néanmoins (dit-il) je pense que c'étaient leurs ennemis, et pour ce n'avaient point ce voyage agréable: ou bien ils craignaient que le dit capitaine ne les abandonnât et qu'il n'allât demeurer à Hochelaga." Revenons au récit de Cartier, ce récit contient une pantomime que cet habile navigateur ne comprit pas, sans doute, faute de connaître le climat du Canada.

 

"Le 18 Septembre pour nous cuider toujours empêcher d'aller à Hochelaga, songèrent une grande finesse qui fut telle: ils firent habiller trois hommes en la façon de trois diables, lesquels étaient vêtus de peaux de chiens noirs et blancs, et avaient cornes aussi longues que le bras, et étaient peints par le visage de noir comme charbon: et les firent mettre dans une de leurs barques à notre non sceu. Puis vindrent avec leur bende comme de coutume, auprès de nos navires et se tiendrent dedans le bois sans apparoitre environ deux heures, attendans que l'heure et marée fut venue pour l'arrivée de la dite barque, à laquelle heure sortirent tous, et se présentèrent devant nos dits navires, sans eux approcher ainsi qu'ils souloient faire. Et commença Taiguragni à saluer le capitaine, lequel lui demanda s'il voulait avoir le bateau. A quoi lui répondit le dit Taiguragni que non pour l'heure, mais que tantôt il entrerait dedans lé dits navires. Et incontinent arriva la dite barque où étaient lédits trois hommes apparaissant être trois diables ayans de grandes cornes sur leurs têtes, et faisoit celui du "milieu, en venant, un merveilleux sermon, passèrent le long de nos navires avec leur dite barque, sans aucunement tourner leur vue sur nous, et allerent asséner et donner en terre avec leur dite barque, et tout incontinent le dit Donnacona et ses gens prindrent la dite barque, et lé dits hommes, léquelz s'étaient laissé choir au fond d'icelle, comme gens morts, et porterent le tout ensemble dans le bois, qui était distant dédits navires d'un jet de pierre, et ne demeura une seule personne que tous ne se retirassent dedans le dit bois. Et eux étans retirez commencerent une prédication et prêchement que nous oyons de nos navires, qui dura environs demie heure.— Après la quelle sortirent lédits Taiguragni et Domagaya du dit bois, marchans vers nous ayans les mains jointes leurs chappeaux sous leurs coudres, faisans une grande admiration. Et commença le dit Taiguragni à dire et proférer par trois fois, Jésus, Jésus, Jésus, levant les yeux vers le ciel. Puis Domagaya commença à dire, Jésus Maria, Jacques Quartier regardant le ciel comme l'autre. Et le capitaine voyant leurs mines et cérémonies leur commença à demander qu'il y ayait, et que c'était qui était survenu de nouveau; léquels répondirent qu'il y avait de piteuses nouvelles, en disant, Nenni est il bon, c'est-à-dire, qu'elles ne sont pas bonnes.)— Et le capitaine leur demanda derechef que c'était. Et ils lui dirent que leur Dieu, nommé Cudouagni avait parlé à Hochelaga, et que les trois hommes devant dits étaient venus de par lui leur annoncer les nouvelles, et qu'il y avait tant de glaces, et de neges, qu'ils mourraient tous. Desquelles paroles nous primmes tous à rire, et leur dire que Cudouagni n'était qu'un sot, et qu'il ne savait ce qu'il disait, et qu'ils le dissent à ses messagers, et que Jésus les garderait bien de froid s'ils lui voulaient croire. Et lors ledit Taiguragni et son compagnon demandèrent au dit capitaine s'il avait parlé à Jésus. Et il répondit que ses Prêtres y avaient parlé, et qu'il ferait beau temps. Dequoi remercierent fort le dit capitaine, et s'en retournerent dedans le bois dire les nouvelles aux autres, les quels à l'instant sortirent dudit bois feignans être joyeux "desdites paroles. Et pour montrer qu'ils en étaient joyeux, tout incontinent qu'ilz furent devant les navires, commencèrent d'une commune voix à faire trois cris et hurlemens, qui est leur signe de joye, et se prindrent à danser et chanter comme avaient de coutume. Mais par résolution ledits Tanguragni et Domagaya dirent au dit capitaine, que le dit Donnacona ne voulait point que nul d'eux allât à Hochelaga avec lui s'il ne bailloit plege qui demeurât a terre avec le dit Donnacona. A quoi leur répondit le capitaine que s'ils n'étaient délibérez y aller de bon courage, qu'ils demeurassent, et que pour euz ne lairroient mettre peine à y aller."

 

Ces sauvages disant que la rivière au-dessus de Québec était dangereuse, ont dit vrai. La prédiction faite à Cartier que la quantité de glaces et de neige les ferait tous périr, eut bien été accomplie si Domagaya n'eut indiqué à Cartier l'arbre qui devait rendre la santé à son équipage. S'ils n'ont pas parlé de maladie, c'est sans doute qu'ils n'avait point d'expression pour cela, mais Domagaya en connaissait le remède. Comment ces sauvages étaient-ils si bien instruits sur les dangers que couraient les Français en hivernant en Canada plus haut que Québec ? Je présume que c'était par l'expérience, je conjecture qu'ils l'avaient acquise par la connaissance du sort de Verazani. Les sauvages par leurs mains jointes, par ces mots que la rivière ne valait rien et par ce nenni est il bon, démontraient à Cartier qu'ils le suppliaient de ne pas partir, et leur répugnance à remonter le fleuve avec lui, quoiqu'ils eussent déjà affronté la mer sur ses vaisseaux, prouvent la parfaite consaince qu'ils avaient du danger. L'invitation qu'ils faisaient à Cartier de rester chez eux ne peut être attribuée à la crainte qu'ils ne se joignit à leurs ennemis, puisqu'il laissait ses deux plus grands vaisseaux à Ste. Croix, et qu'il ne parait pas qu'ils fussent en guerre avec Hochelaga. En outre Stadaconé était un lieu cultivé et aux environs duquel on faisait la pêche et la chasse, qui offraient aux Français des ressources qu'ils ne pouvaient peut-être pas trouver plus haut. Je crois que leur conseil était amical, comme leur conduite subséquente le démontra, en indiquant le remède contre le scorbut, et en fournissant aux Français des vivres, comme le récit de Cartier le mentionne.

 

Voyons la pantomime. Cette berge ou canot qui frappe sur le rivage représente un naufrage. Ces trois hommes si étrangement vêtus signifient des étrangers. La couleur noire indique la nuit ou la mort. Ils passent devant les vaisseaux sans les regarder, ceci indique qu'ils ne connaissaient, ou ne voyaient rien. Celui du milieu qui parle indique le chef du vaisseau. Ces trois hommes tombent comme morts dans le canot, ceci semble indiquer que ces étrangers moururent, L'enlèvement de ces prétendus morts dans le canot, indique que les sauvages avaient receuilli ces étrangers après leur mort et s'étaient emparé du vaisseau, dont nul vestige ne resta. Ces sauvages étaient convaincus que les Français mourraient tous, s'ils hivernaient plus haut que Québec, et faute de pouvoir s'exprimer assez bien par la parole, ils eurent recours à ce langage d'action.

 

Où le vaisseau de Verazani fit-il naufrage? D'après tout ce que nous avons dit ci-dessus, et d'après cette tradition qui rapporte un naufrage sur la roche de Jacques Cartier, je conjecture que ce fut là où Verazani fit naufrage. Mais y périt-il ? On peut croire qu'un aussi habile marin put y réparer son vaisseau, et qu'ensuite il aura pu remonter plus haut jusqu'à Champlain ou il aura subi le même sort qui menaçait Cartier.

 

Revenons à notre canon. D'après toutes les informations que j'ai pu recueillir, il parait que ce n'est que dans l'Amérique Espagnole que l'on rencontre des canons de bronze de cette espèce. Un officier Anglais a dit à Mr. Chasseur en avoir vu de semblables à Buenos Ayres qui étaient hors d'usage depuis très longtemps, et dont les insurgés de cette ville se servaient faute d'autres pièces.—

 

Un capitaine de vaisseau a dit à Mr. Chasseur en avoir vu aussi dans l'Ile de Cuba. Verazani était alors au service de François I: Et ce fut le 24 Février 1525 que ce Roi fut fait prisonnier à Pavie par les armées de l'empereur Charles Quint, avec qui il était en guerre. Ceci explique pourquoi le Gouvernement Français oublia l'infortuné Verazani qui périt cette année, ou dans le cours de l'hiver suivant.

 

Ce fut probablement dans une de ses courses contre les Espagnols de l'Amérique, que Verazani s'empara de cette pièce sur un des vaisseaux de Charles Quint.

 

L'histoire de notre pays ne mentionne aucun naufrage dans des temps si reculés, d'où je conclus que ce canon est à la fois et le témoin des victoires de Verazani sur les Espagnols de l'Amérique, et du lieu de sa fin tragique.

 

Cette Seconde partie de ma dissertation n'est qu'une conjecture que je donne afin d'exciter les savans à répandre leurs lumières sur un sujet qui intéresse l'histoire de ce pays.

 

 

Extracts respecting this Paper and the Canon.

 

Chambered pieces for throwing stones called " Canon Perriers" (vulgarly Pattereras,) port pieces, stock fowlers, sling pieces, portingale bases, murtherers, were about this time (1521) much used in small ports and on ship board.

 

GROSE'S MILITARY ANTIQUITIES, vol. I. p. 384.

 

In the page above cited there is a plate of the "Canon Perriers," which is an exact representation of the piece if ordnance mentioned in this paper.

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